En début d'après-midi, François (le directeur) m'a invité à discuter des évolutions futures à l'observatoire, notamment en ce qui concerne la partie informatique.
J'étais donc dans son bureau quand tout le bâtiment a été secoué un bref instant, un peu comme si un gros camion était passé très près, mais en plus fort. Nous avons ressenti la secousse et entendu (ou vu, je ne sais plus comment je l'ai perçu) la déformation du bâtiment de l'observatoire.
Une exclamation (ou un juron) plus tard, nous étions dans la salle d'acquisition voisine (le centre névralgique de l'observatoire). Les serveurs d'acquisition en temps réel affichaient les vibrations sur leurs écrans.
Quelques dizaines de secondes plus tard, le début du signal sismique enregistré apparaissait à l'écran du poste de visualisation. On voyait nettement que le signal était arrivé en premier sur la station sismique de Terre-de-Bas, dans l'archipel des Saintes, où un gros séisme (6,4) s'était produit le 21 novembre 2004. Aucun doute : on avait affaire à une réplique des Saintes.
Bertrand a pointé immédiatement le début de chaque onde sismique (P et S) sur chaque station. En gros, le décalage entre les deux ondes indique la distance approximative, et le décalage entre chaque station permet la localisation exacte, par une sorte de triangulation très complexe. Ici, c'était à 3km au nord-nord-ouest de Terre-de-Bas, approximativement à 5km de profondeur.
En même temps, la fin du signal détecté par les sismomètres apparaissait sur les écrans, avec une réplique apparue dans le court intervalle de temps. La durée du séisme (jusqu'à ce qu'il ne soit plus perçu par les sismomètres) et la distance permettent d'estimer la magnitude assez précisément, ici 4,2 sur l'échelle de Richter.
Un affinage des mesures, une vérification, et dans la foulée, presque automatiquement, un «Rapport préliminaire de séisme concernant la Guadeloupe»était calculé par l'ordinateur et sortait de l'imprimante, daté de 15h28, soit moins de 19 minutes après la secousse.
Le rapport indique les intensités estimées pour chaque commune de Guadeloupe. On y voit que la commune de Terre-de-Bas, située très proche de l'épicentre, a été fortement secouée, de quoi faire probablement de légers dégâts. Mais comme à cet endroit là ça secoue souvent (quoique rarement aussi fort) depuis plus d'un an, il n'y a plus grand chose à casser. Et la population a plus ou moins appris à vivre avec les séismes, la mairie gère bien ça et la population panique moins.
Par la suite, un
communiqué sur l'essaim de séismes a été publié sur la
page de communiqués de l'observatoire
L'observatoire a un rôle d'information vis-à-vis des autorités. La localisation et la magnitude permettent d'estimer (d'après une loi issue de l'observatoire) l'intensité ressentie localement dans chaque commune de Guadeloupe. Cette information figure sur le rapport. Elle sert notamment à la préfecture pour organiser les éventuels secours. : Donc, une fois le rapport sorti, il fut faxé immédiatement et envoyé par e-mail à la préfecture et à d'autres correspondants. La préfecture était également rappelée au téléphone, avec la recommendation de contacter la mairie de Terre-de-Bas, la commune la plus touchée. Entre-temps, une dizaine de coups de téléphone avaient été reçus ou émis, pour donner ou recevoir des informations préliminaires. Car même avant d'avoir le rapport, on avait des informations sur le séisme (ce que j'ai mis en gras).
Dans la crise des Saintes, qui dure depuis 13 mois, il y a déjà eu des répliques de cette magnitude. La dernière comparable était au mois de juin il y a eu une réplique de 4,5mag.
Sinon, les séismes ressentis en France métropolitaine plus puissants que celui-ci ne sont pas très fréquents..
Quand un séisme survient, il libère une grosse quantité d'énergie, accumulée dans les roches par la tectonique pendant un temps plus ou moins long. Ça fait casser des roches, créant une faille, ou ça peut aussi tout simplement faire glisser une faille (avec du frottement). Et ça déstabilise toutes les roches aux alentours, qui peuvent avoir elles aussi accumulé de l'énergie.
Cette déstabilisation peut provoquer d'autres séismes dans des endroits où de l'énergie est stockée. Ces séismes provoqués n'auraient probablement pas eu lieu sans le séisme principal, c'est pour cela qu'on les appelle des répliques.
Le séisme auquel nous avons eu affaire aujourd'hui est une réplique de celui du 21 novembre, plus forte que la moyenne, mais s'inscrivant bien statistiquement dans la loi d'Omory, qui établit la probabilité d'un certain nombre de répliques de chaque magnitude en fonction du séisme principal.
Ce séisme étant une assez grosse réplique, il a généré à son tour d'autres répliques, de magnitude allant jusqu'à 3.
Il a donc fallu regarder les enregistrements pour noter toutes ces répliques. Ça nous a occupé jusqu'à 19h, et j'ai pu apprendre comment on faisait.
À 19h, il y avait une soixantaine de répliques détectées, dont une vingtaine potentiellement ressenties aux Saintes, qui devront être précisément localisées et mesurées demain.
Depuis 24h ou 36h, le nombre de petits séismes avait augmenté, environ une dizaine, dont deux ou trois potentiellement ressentis, d'où un communiqué de séisme dans la matinée.
Cette série de petits séismes avant le plus gros s'est révélée à posteriori annonciatrice. Mais c'est quelque chose qui est très mal connu, pas du tout systématique, et impossible à séparer des répliques habituelles.
Peut-être qu'un jour, dans quelques années ou décennies, on sera en mesure d'avertir après une série de séismes insignifiants qu'une grosse secousse arrive pour l'heure suivante, en la quantifiant et la localisant. Prédir l'avenir, c'est un vieux rêve de l'humanité... Si un jour quelqu'un arrive à faire ça, il aura droit au prix Nobel ;-)